Un album jubilatoire et innovant
Après « Feelin’ Pretty » consacré au « West Side Story » de Leonard Bernstein, « Un Poco Loco » revient avec « Ornithologie ». Cette fois, les talentueux Fidel Fourneyron, Geoffroy Gesser et Sébastien Beliah revisitent la musique de l’altiste Charlie Parker. Le défi est un peu fou mais c’est avec brio et fantaisie que les trois musiciens se réapproprient la musique de Bird. Trombone, clarinette/saxophone ténor et contrebasse jouent avec le répertoire de Parker. C’est virtuose, pétillant, jubilatoire et innovant. Une insolente réussite !
Le groupe « Un Poco Loco » réunit trois experts en improvisation, le tromboniste Fidel Fourneyron, le saxophoniste et clarinettiste Geoffroy Gesser et le contrebassiste Sébastien Beliah. Fondé en 2014 par Fidel Fourneyron, le trio a déjà deux albums à son actif, l’album éponyme sorti en 2014 et « Feelin’ Pretty » (2017) qui a consisté en une relecture inventive de « West Side Story » de Leonard Bernstein.
En 2020, pour sa nouvelle création, le trio revient au bebop, forme de jazz inscrite dans son ADN. Avec « Ornithologie » (Umlaut Records/L’autre Distribution) à sortir le 28 février 2020, « Un Poco Loco » réussit un opus vivifiant consacré au répertoire du saxophoniste Charlie Parker, surnommé Bird.
Le graphisme superbe de la couverture de l’album illustre tout à fait le résultat du travail de « Un Poco Loco » sur « Ornithologie ». Superposé au portrait noir et blanc de Charlie Parker, l’oiseau chanteur posé sur un bec de saxophone et les petits volatils aux couleurs éblouissantes posés parmi des herbes et fleurs restituent l’ambiance musicale de l’album… ça virevolte. ça explose, ça vibrionne, ça enchante de bout en bout des treize titres !
Trois ornithologues un peu fous…
Comme trois ornithologues de la musique, Fidel Fourneyron (trombone), Geoffroy Gesser (saxophone ténor, clarinette) et Sébastien Beliah (contrebasse) ont étudié (la musique de Bird, cet oiseau rare devenu légendaire pour son chant unique. En effet, sur son saxophone alto, Charlie Parker (1920-1955) a participé à la révolution bop dont il a été l’un des maîtres. Ce sont ses acrobaties véloces, virtuoses et décoiffantes qui lui ont d’ailleurs valu le surnom de Bird.
En 2020, « Un Poco Loco » fait de l’héritage de Parker son nouvel espace de jeu. De manière peu orthodoxe, le trio injecte sa créativité dans le répertoire mythique de Parker auquel il fait écho. Sans nostalgie, « Ornithologie » fait plus qu’entrer en résonance avec le bebop. Loin de trahir ce jazz du XXème siècle, le trio lui insuffle une nouvelle vie et projette les trésors du bop dans le XXIème siècle. « Un Poco Loco » pare le chant de Bird de modernités ludiques qui sonnent comme des évidences. On se demande d’ailleurs pourquoi nul ne l’avait fait auparavant.
Dans ce trio à l’instrumentation atypique qui associe deux instruments mélodiques (trombone et saxophone ténor/clarinette) à une contrebasse, les musiciens développent cet idiome singulier dont ils maîtrisent si bien la syntaxe. Ils élaborent un langage où les improvisations échevelées s’insèrent au sein d’arrangements précis. A trois seulement, les musiciens réalisent la performance inouïe de restituer une dimension orchestrale à la musique, une musique où les mélodies sont comme enchâssées dans une riche texture harmonique et dotées d’une dynamique explosive.
Sous des atours fantaisistes, les trois improvisateurs élaborent en fait une musique savante et insolente. Au final, leur pari a priori un poco loco, est une réussite absolue. En effet, en insufflant un brin d’extravagance et un grain de folie au cœur des morceaux que jouait Bird, « Un Poco Loco » revitalise de manière innovante ces titres légendaires. Ils décomposent puis recomposent les thèmes originaux et au final, il en ressort « Ornithologie », une musique vibrante, irradiée de l’intérieur par une énergie mystérieuse qui la fait apparaître comme lumineuse et rénovée mais fidèle à l’esprit de Bird.
Au fil des titres
Dès la première plage, Shaw’ Nuff, le trio se réapproprie avec subtilité et originalité ce thème sur lequel les soufflants dissèquent la ligne mélodique en fragments musicaux. Après un premier solo d’une souplesse confondante du ténor plutôt profilé West-Coast, le trombone fait preuve d’une exubérante virtuosité. Leur propos se terminent en nappes sonores comme des volutes flottants. Sur Yardbird Suite, le trombone opère une relecture du thème sur un contrechant du ténor puis il articule un solo fluide auquel répond la clarinette délicate.
Sur le tempo élastique qu’impulse la contrebasse, trombone et clarinette exposent à l’unisson le thème d’Anthropology. Dans un même élan, les protagonistes jouent à saute mouton avec la musique mais s’inscrivent tout à fait dans les pas du Bird. C’est ensuite avec un brio véloce et un savoir-faire absolu que le trio ravive la folie et la furie de Salt Peanuts. Sur une ligne de basse incessante et dynamique on perçoit slaps d’anche et glissements de la coulisse du trombone.
<
Sur la suite Barbillie’s time, clarinette, trombone et contrebasse se délectent à découper en contrepoint les mélodies de Billies Bounce, Now’s The Time et Barbados et l’on note à ce propos que les musiciens s’amusent autant avec les titres des morceaux qu’avec les notes. Un vrai jeu de cache-cache musical où chaque protagoniste se démultiplie et incarne tour à tour les rôles de mélodiste et de rythmicien. Le trio sonne comme un grand orchestre. Le contraste est frappant avec la version que le trio donne ensuite de Everything Happens To Me qui prend les allures d’une véritable ode à la lenteur. Sonorité attristée du trombone, son boisé et raffiné de la clarinette et profondes notes de la contrebasse font ressurgir les échos des timbres sonores ellingtonniens.
Plus loin, on est cueilli par la relecture inattendue que le trio donne du thème de Charlie Parker, Ah Leu Cha. Extrapolations, clins d’œil, pieds de nez, un travail d’orfèvre étonnant. Les trublions déconstruisent ensuite Okiedoke qu’ils reconstruisent en une version ludique d’une cohérence absolue. Sur un tempo latin, le trombone s’exalte et le ténor bouillonne. Irrésistible !
Sur Chasin’ the Bird, soutenus par une solide ligne de basse, clarinette et trombone dialoguent plus tard sur un format proche de la fugue. On retrouve même des réminiscences du solo de Parker. Le trio s’attaque ensuite à Segment dont il propose une version pleine d’humour puis enchaîne Mango Mangue de Machito et Donna Lee crédité à Miles Davis et Charlie Parker. La clarinette papillonnante et le trombone au jeu espiègle s’expriment avec précision tout au long du double titre où ils divaguent sans retenue jusqu’au final qui coupe le souffle et suscite l’envie d’applaudir.
Le répertoire propose ensuite une version élastique de Groovin’ High où les instruments étirent, accélèrent puis ralentissent la mélodie pour mieux la dynamiser, le tout dans le plus pur respect de l’esthétique bop. Sur Blue Bird la dernière plage de l’album, le contraste entre la sonorité ombrageuse de la clarinette et le son rutilant du trombone fait merveille et instaure une atmosphère vibrante et imprégnée d’une profonde mélancolie.
On est transporté de bout en bout des treize plages de l’album « Ornithologie » mais on demeure pourtant en questionnement quant au fait que le trio n’ait pas repris le titre Ornithology enregistré sur l’album éponyme de Parker sorti en 1946.
De Shaw’ Nuff à Blue Bird, « Un Poco Loco » revitalise sans les trahir les morceaux légendaires que jouait Bird.
« Un Poco Loco », ce n’est pas juste un peu fou, c’est avant tout le travail de trois orfèvres qui se réapproprient avec brio et humour la musique de Charlie Parker. Plusieurs concerts se profilent pour retrouver live, Fidel Fourneyron (trombone), Geoffroy Gesser (saxophone ténor, clarinette) et Sébastien Beliah (Sébastien Beliah). RV le 28 février 2020 à Paris à 20h à l’Ateleir du Plateau, le 10 avril 2020 à 20h à L’Etincelle de Rouen. Le 17 avril 2020 à 20h30, Le Silex accueille le trio à Auxerre et « Un Poco Loco » est programmé le 22 mai 2020 à Coutances dans le cadre du festival Jazz sous les Pommiers.
Titi Robin Quatuor présente « Le Sable et l’Écume »
Sur son nouvel album « Le Sable et l’Écume », Titi Robin présente un répertoire original composé pour Titi Robin Quatuor, sa nouvelle formation instrumentale. Un projet instrumental porté par les sublimes échanges de quatre musiciens hors pair. La musique s’inscrit dans une culture radicalement modale et polyrythmique. La prise de risque artistique est à la mesure de l’enjeu esthétique. Un projet modal, hors mode et radical.
Michel Petrucciani Trio au Jazz Club Montmartre CPH 1988
Le label Storyville Records prévoit la sortie d’un double-album inédit de Michel Petrucciani, « Michel Petrucciani Trio au Jazz Club Montmartre CPH 1988 ». Annoncé pour le 15 novembre 2024, cet opus inédit permet d’écouter le pianiste entouré de Gary Peacock et de Roy Haynes. Du jazz intemporel qui allie lyrisme, sensibilité et virtuosité.
« Django! »… Baptiste Herbin en trio sans guitare
C’est un véritable défi que réussit le saxophoniste Baptiste Herbin avec « Django! » sur lequel il revisite l’univers de Django Reinhardt, en trio trio saxophone, contrebasse, batterie. Sans guitare, l’album restitue l’essence de la musique du fameux guitariste manouche. Échanges énergiques, fulgurances virtuoses, valses enivrantes, exubérances et silences, tout concourt à faire de cet album absolue une réussite qui allie innovation et tradition.