L’élégance furieuse de « Sfumato »
« Sfumato », le dernier album en quintet du saxophoniste Émile Parisien poursuit une aventure commencée en 2015 à « Jazz in Marciac ». Le pianiste allemand Joachim Kühn apporte son expérience et son talent. Énergie et liberté font bon ménage.
L’album « Sfumato » (ACT/[PIAS]) annoncé pour le 07 octobre résulte d’une aventure musicale initiée en 2015 lors d’une carte blanche proposée au saxophoniste Émile Parisien par le festival « Jazz in Marciac ».
Après avoir joué avec Daniel Humair et Michel Portal, rien d’étonnant à ce qu’Émile Parisien se soit rapproché du légendaire pianiste Joachim Kühn qui, avec les deux premiers cités, a contribué à l’émergence d’un jazz européen. Ainsi le nouveau projet d’Émile Parisien en quintet réunit Joachim Kühn au piano, Manu Codjia à la guitare, Simon Taillieu à la contrebasse et Mario Costa à la batterie. Deux invités prestigieux, le clarinettiste Michel Portal et l’accordéoniste Vincent Peirani, rejoignent le quintet sur trois plages de l’album.
« Sfumato », le jazz libre et créatif d’un quintet intergénérationnel. Les années de différence qui séparent le pianiste de ses jeunes partenaires ne font pas obstacle à leur entente car une même philosophie musicale les unit. Créer une musique instantanée construite en symbiose où improvisation et énergie s’allient pour créer des climats émotionnels variés.
Ouvert sur toute les cultures et les genres musicaux Émile Parisien est un artiste multi-récompensé, désigné « Artiste de l’année » par le Prix Django Rheinhardt en 2012, distingué aux » Victoires du Jazz » à deux occasions, (2009 et 2014), nommé « Artiste Spedidam ». Sa large vision musicale lui a permis de se produire en en quartet, en duo, avec Yaron Herman, Vincent Peirani, Michel Portal et Daniel Humair. Il a aussi prêté ses services à Stéphane Kerecki, Anne Paceo et bien d’autres. Émile Parisien est un des représentants de la jeune scène européenne actuelle du jazz contemporain comme jadis le fut Joachim Kühn.
C’est en effet au sein du trio Kühn/Jenny-Clark/Humair que le pianiste a contribué à dessiner un jazz européen créatif. Dans cette même dynamique de jazz libre, Joachim Kühn a aussi joué avec Ornette Coleman, Archie Shepp ou Pharoah Sanders. C’est donc son talent et sa riche expérience que le pianiste apporte au quartet d’Émile Parisien. Ainsi, Joachim Kühn, par son jeu qui allie classicisme et modernisme vient tempérer la virtuosité étincelante d’Émile Parisien. Dans Duet for Daniel Humair les deux solistes rivalisent de liberté et construisent un discours moderne et nuancé proche de la musique contemporaine.
Émile Parisien vit le jazz tant avec son esprit qu’avec son corps. S’il s’agite sur scène et peut dérouter certains spectateurs par ses mouvements anarchiques, le saxophoniste produit une musique au swing indubitable. Le voir s’agiter et grimacer sur scène fait souvent oublier que sa musique coule avec une fluidité toute naturelle. Cela devient une évidence à l’écoute de « Sfumato ». En effet a contrario de ses postures corporelles ou de ses mimiques faciales, le flow du saxophoniste respire. Même sur les tempi rapides une musique précise coule du saxophone soprano en fusion.
Les musiciens s’amusent et content des histoires. Le Clown Tueur de la fête foraine narré en trois parties et les deux épisodes de Balladibiza. Les invités, Michel Portal et Vincent Peirani, ne sont pas en reste sur les trois titres où ils interviennent. Ils participent à la tonalité alternativement sombre et lumineuse de l’album.
Tous les instrumentistes du groupe jouent à part égale. La virtuosité éblouissante d’Émile Parisien. Le jeu lyrique de Joachim Kühn. La guitare réverbérée et écorchée de Manu Codjia. Le groove tellurique de Mario Costa et Simon Tailleu qui soutiennent avec brio l’expression des solistes. On a particulièrement été sensible aux deux compositions de Joachim Kühn qui mettent en valeur l’alchimie du groupe. Arôme de l’Air tonique et enlevé et Brainmachine plus sombre et torturé.
Des plages de l’album se dégage un flou artistique. Difficile en fait de définir le climat global du disque qui navigue dans des atmosphères aux couleurs changeantes. N’est-ce pas ce qu’annonce le titre de l’album en faisant référence à une technique de peinture, le sfumato qu’employaient les artistes de la Renaissance pour flouter la réalité ?
Comme si la virtuosité des musiciens dissimulait la réalité de la musique pour mieux la révéler. « Sfumato », un album où les artistes suggèrent la musique et la mettent en perspective. Un jazz d’une liberté tout à fait contrôlée et d’une grande vitalité où alternent écriture et séquences d’improvisation.
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