Modernité réjouissante d’un jazz contrasté
Sur l’album « Elastic Borders », le pianiste Etienne Manchon offre une musique originale nourrie d’influences très larges, ce qu’affirme d’ailleurs le titre de l’opus. Avec ses compères Clement Daldosso (contrebasse) et Théo Moutou (batterie), le leader propose un jazz contrasté d’une modernité réjouissante.
En 2016, le pianiste Etienne Manchon réunit autour de lui le contrebassiste Clément Daldosso et le batteur Théo Moutou. Après avoir rôdé leur répertoire sur scène, et suite à une campagne de financement participatif réussie, le trio enregistre au Midilive Studios, leur premier album, « Elastic Borders » (Label Troisème Face) sorti le 22 février 2019. Hormis deux reprises, l’album propose des compositions originales du leader Etienne Manchon.
Tout au long du répertoire de l’album « Elastic Borders », le trio d’Etienne Manchon fait vibrer une musique qui se déploie aux confins d’un univers aux frontières élastiques. En effet, l’expression des trois musiciens ne demeure pas cantonnée dans un idiome figé mais explore des esthétiques variées, jazz certes mais aussi hip hop, influences classiques et rock progressif.
Etienne Manchon Trio…
Né à Nancy en 1995, le jeune pianiste et compositeur Etienne Manchon évolue entre Paris et Toulouse et compte plus de 300 concerts à son actif. Il a aussi obtenu le prix du meilleur instrumentiste en 2017 à Jazz à Oloron.
Ses influences multiples recouvrent un spectre élargi. De Pink Floyd à la musique classique du XXème siècle (Ravel, Debussy, …) en passant par la musique du pianiste-claviériste Jozef Dumoulin et celle de la bouillonnante scène new-yorkaise où évoluent Ben Wendel, Mark Guiliana, Taylor Eigsti. Ainsi, son écriture et son jeu intègrent tout autant un goût affirmé pour la mélodie qu’un intérêt certain pour le rythme, ce dont témoignent d’ailleurs les plages de l’album.
À côté de son activité dans le jazz et les musiques actuelles, le pianiste accompagne également régulièrement des récitals de musique baroque et classique. Il s’intéresse par ailleurs à l’écriture et l’arrangement pour petites et grandes formations auquel il s’emploie assez régulièrement. Enfin il fait aussi partie du nouveau projet « Fragments » du contrebassiste Yves Rousseau où le jeune pianiste tient les claviers du septet.
Le batteur d’origine réunionaise, Théo Moutou entretient une grande complicité avec le pianiste puisqu’ils ont côtoyé ensemble les bancs de l’Université Jean Jaurès en musicologie jazz à Toulouse. À l’aise dans tous les styles, du maloya réunionnais au hard rock, en passant par le funk il affectionne aussi le jazz et revendique des influences qui résonnent autant du côté d’André Ceccarelli que de Jacob Collier et Moonchild.
Né à Auch, le jeune contrebassiste du trio Clément Daldosso est présent très dans les clubs parisiens, tant auprès des musiciens de sa génération que de ses aînés plus aguerris.
… et des invités
Trois invités de marque interviennent sur l’album « Elastic Borders » aux côtés de trio. Le pianiste et compositeur Pierre de Bethmann intervient au Fender Rhodes sur trois compositions du leader, Duo, Debussy Réunion Part I et Bersamo. Au saxophone ténor, Pierre Lapprand participe à deux pistes de l’album, Wendel et Bersamo. Le tromboniste Ossian Macary intervient lui aussi sur Bersamo.
Un guitariste fantôme hante par ailleurs la dernière plage de l’album. S’agit-il de, d’Oscar Emch, de Raphaël Archambault, Romain Pilon ou instrumentiste ? Le livret de l’album ne le précise pas, dommage car ce bonus enflammé ne dénote pas du tout dans l’univers du disque.
« Elastic Borders », impressions de plage en plage
L’album ouvre avec le superbe et tonique 16h32. Le trio expose le thème construit sur des séquences musicales variées rythmiquement et chargées en nuances. En osmose avec la section rythmique, le piano s’envole dans un chorus intense et élégant.
A partir d’un riff, un climat éthéré s’installe sur Cobby Bartel. Le pianiste laisse aller son inspiration sur les claviers vite rejoint par le trio dans une expression d’une libre extravagance où se croisent des évanescences evansiennnes, des clins d’oeil à Bach et bien d’autres influences.
Sur Wendel le saxophone ténor apporte un souffle impétueux dont le lyrisme inspire le piano facétieux qui reprend la main pour conclure. Fragmenté rythmiquement, Conference fait songer au début au style de Tigran Hamasyan mais la palette s’élargit à des fusions sonores maîtrisées entre jazz et rock progressif.
La suite Debussy Réunion s’inspire de la musique de Debussy et de ses contemporains impressionnistes, ainsi que des rythmes de la musique réunionnaise (sega, maloya). Le tout est réuni dans une suite en trois mouvements, qui dépasse les vingt minutes. La philosophie de l’album « Elastic Borders » s’incarne totalement dans cette suite insolente très réussie.
Après une courte intro du piano style prélude à la Debussy que ponctue la section rythmique, le « spécial guest » Pierre de Bethman interprète Debussy Reunion part 1 dans un style jubilatoire.Le solo de batterie induit une respiration percussive. La révérence à Debussy se poursuit avec Debussy Reunion part 2&3. Après un début minimaliste le piano métamorphose son jeu et captive par son jeu qui gagne en flamboyance poussé par la fougueuse section rythmique. Debussy Reunion part 3 débute par un préambule au piano pseudo romantique. La section rythmique entraîne ensuite la musique dans un autre univers. Le piano électrique suit la pulsation ludique d’un bolero qui flirterait avec une salsa effervescente.
Dialogue réjouissant entre Etienne Manchon et Pierre de Bethmann, Duo permet d’apprécier les improvisations des deux claviers qui rivalisent d’inventivité. On est frappé par la dimension rythmique inouïe de ce titre. Le trio poursuit et impose un sacré lifting à Because, la chanson des Beatles. La rythmique hors pair insuffle une dynamique réussie à ce thème sur lequel les inflexions « soul bluesy » du clavier ravissent.
En sextet Bersamo résonne comme un petit requiem. Le saxophone au jeu élastique, le trombone larmoyant, le fender aux accords tristes unissent leurs chants à l’expression du trio recueilli. Pour terminer l’album, Windows, la composition de Chick Coréa est interprétée en douce relaxation par le trio qui s’amuse avec la métrique initiale. A la toute fin du morceau on se laisse captiver par la batterie souple et forte à la fois. Après une minute cinquante de silence, une guitare enflammée rejoint le trio et la contrebasse propose un superbe solo.
Ce premier album « Elastic Borders » surprend par la richesse de son expression et une maturité qui laisse augurer un bel avenir pour le trio. On ne se lasse pas d’écouter les plages de ce disque qu’interprète avec brio et inventivité le trio d’Etienne Manchon.
« Martial Solal : une vie à l’improviste » par Vincent Sorel
Le 10 octobre 2024, Vincent Sorel publie « Martial Solal : une vie à l’improviste », un roman graphique dédié à Martial Solal. Publié aux Editions du Layeur, ce superbe ouvrage rend hommage au célèbre pianiste décédé le 11 décembre 2024.
Le pianiste, compositeur et arrangeur Martial Solal est mort
Le 11 décembre 2024, le pianiste, compositeur, arrangeur et chef d’orchestre Martial Solal est mort à l’âge de 97 ans. Le monde de la musique est en deuil et pleure la disparition de ce prodigieux artiste considéré comme un maître de l’improvisation. Son empreinte demeure à jamais inscrite dans l’univers du jazz français et international.
« Looking Back », le swing enchanteur de Scott Hamilton
Le saxophoniste ténor américain Scott Hamilton célèbre ses 70 ans avec « Looking Back ». Sa sonorité patinée semble venue d’un autre temps, celui des big-bands des années 30 à l’époque où est né le « jazz swing ». Ancré dans la plus pure tradition de ce style, Scott Hamilton swingue avec aisance et élégance. Un enchantement dont on ne se lasse pas.