Entre tendresse et mélancolie
Le saxophoniste italien Rosario Giuliani présente « Love In Translation », un album qui scelle son retour sous le label Jando Music/Via Veneto Jazz. Il retrouve pour l’occasion le vibraphoniste américain Joe Locke avec lequel il a engagé une collaboration débutée il y a 20 ans à Umbria Jazz. Servi par une rythmique subtile et efficace, le duo célèbre l’amour avec chaleur et lyrisme. L’opus à l’esthétique soignée navigue entre tendresse et mélancolie. Gorgée de sensibilité et d’émotion, la musique enchante.
Sorti le 26 janvier 2020, l’album « Love In Translation » (Jando Music/Via Veneto Jazz) marque les retrouvailles du saxophoniste Rosario Giuliani et du vibraphoniste Joe Locke, vingt ans après leur premier partenariat à Umbria Jazz. Avec le contrebassiste Dario Deidda et le batteur Roberto Gatto, ils proposent une musique réflexive et plutôt intimiste, lyrique et sensible dédiée à l’amour qu’ils traduisent en émotions musicales.
Loin d’un album qui conterait les couleurs d’un amour enflammé, « Love In Translation » élève une ode sensible à l’amour avec un répertoire d’une rare intensité mélancolique. Un opus à l’esthétique soignée qui fait la part belle à ces émotions tout en retenue qui caressent l’oreille.
Rosario Giuliani
Né en 1967 à Terracina, Rosario Giuliani suit les cours au Conservatoire de Frosinone de 1982 à 1987 où il étudie le saxophone classique. En 1996, il reçoit le le Prix Massimo Urbani.
C’est à partir de cette époque qu’il se consacre au jazz avec son quartet composé de Pietro Lussu (piano), Joseph Lepore (contrebasse) et Lorenzo Tucci (batterie). Durant ces mêmes années, il enregistre quatre albums pour le label Philology, « Duets From Trane » (1997), « Live from Virginia Ranch » (1997), « Connotazione Blue » (1998) et « Flashing lights » (1998). Dans les années 2000 il rejoint l’écurie du label Dreyfus Jazz sous lequel il enregistre successivement « Luggage » (2001), « Mr Dodo » (2002), « More Than Ever » (2004), « Anything Else » (2007), « Lennie’s Pennies » (2010) et « Images » (2013) avec Joe Locke. Cette décennie 2000 a permis au public français de découvrir ce saxophoniste virtuose et flamboyant qui brillait dans des contextes for différents et soulevait l’enthousiasme partout où il jouait.
L’année 2013 marque son retour chez Jando Music où il enregistre « The Golden Circle » en 2013 et en 2016, « Cinema Italia » avec Luciano Biondini, Enzo Pietropaoli, Michele Rabbia. Au fil des années il a aussi enregistré avec Enrico Pieranunzi et Franco D’Andrea. 2016 le voit revenir en quartet avec le superbe « The Hidden Side » (Parco della Musica Records) avec Alessandro Lanzoni (piano), Luca Fattorini (contrebasse) et Fabrizio Sferra (batterie), album sur lequel il grave les titres The Hidden Force of Love et Tamburo.
De Duke Ellington à Ornette Coleman, sans omettre Coltrane et nombre de grands compositeurs qui ont marqué l’histoire du jazz, le saxophoniste Rosario Giuliani s’est forgé une carrière. Confronté à de nombreuses esthétiques musicales, il a élaboré un style qui lui appartient en propre. Si le hard bop n’a aucun secret pour lui, il revient en 2020 avec « Love In Translation », un album à l’esthétique soignée où il retrouve Joe Locke, un des vibraphonistes les plus sollicités du jazz contemporain.
« Love In Translation »
L’album « Love In Translation » peint les nuances raffinées des couleurs de l’amour dont il propose dix variations comme dix aspects de cette émotion qui n’en finit pas d’inspirer les artistes.
Le répertoire compte cinq titres originaux du saxophoniste et du vibraphoniste parmi lesquels deux hommages à deux trompettistes remarquables trop tôt disparus, Raise Heaven que Joe Locke dédie à Roy Hargrove et Tamburo, hommage de Rosario Giuliani à Marco Tamburini. Sur l’album figurent aussi de célèbres standards comme Duke Ellington’s Sound of Love de Charles Mingus, Love Letters de Victor Young et Edward Heyman et Everything I Love de Cole Porter. Enfin, le disque présente des reprises très personnelles de deux chansons populaires. Une version solaire du morceau I Wish You Love-Que reste-t-il de nos amours ? de l’auteur-compositeur-interprète Charles Trenet dont le pianiste accompagnateur Léo Chauliac avait composé la musique et une seconde très sentimentale, de Can’t Help Falling in Love With You, chantée en son temps par Elvis Presley. Par un curieux hasard, le saxophoniste Oded Tzur a lui aussi repris ce thème sur album « Here Be Dragons » sorti récemment chez ECM. L’amour traverse les générations et les inspire.
Au fil des titres
L’album ouvre avec une reprise de la célèbre composition de Charlie Mingus, Duke Ellington’s Sound of Love dont le quartet donne une version magistrale. Pris sur le même tempo que l’original, le morceau livre toute sa quintessence. Sur l’écrin de velours des accords voluptueux du vibraphone, la verve lyrique du saxophone alto et les variations sinueuses de son phrasé déclinent toute la gamme des émotions.
C’est ensuite une version rythmiquement renouvelée de Wish You Love/ Que reste-t-il de nos amours ? qu’interprète le groupe. A la fois mélancolique et solaire, le chorus de saxophone s’alanguit avec décontraction sur l’accompagnement impressionniste du vibraphone qui prend un solo d’une souplesse infinie. Love Letters sert ensuite de prétexte à l’alto pour insuffler une puissante émotion dans son jeu d’où émerge une poésie musicale onirique. Un amour en suspension…
Plus loin, une véritable alchimie s’opère entre le vibraphone et l’alto qui exposent à l’unisson le thème de Love is a Planchette, composé par Joe Locke. Après le solo enveloppant et fluide du vibraphone, l’alto développe une courte improvisation qui de fougueuse devient sereine.
Le quartet propose ensuite une variation délicate de I Can’t Help Falling In Love With You, chanson popularisée par Elvis Presley. L’alto expressif et lyrique s’exprime au-dessus de la musique comme suspendue en flottaison par le vibraphone et les cymbales frissonnantes. Après avoir succombé à l’amour, on en découvre la face cachée sur The Hidden Force Of Love, composé par Rosario Giuliani. Après un chorus de l’alto énergique mais empreint de tendresse, la contrebasse chante avec allégresse dans le registre des aigus et la batterie fait scintiller la fin du morceau.
Advient alors l’hommage composé par Joe Locke à la mémoire du trompettiste Roy Hargrove. Chargé d’une sensibilité lumineuse, Raise Heaven s’élève telle une prière vibrante où est palpable l’alchimie qui règne entre le soprano et le vibraphone. Après ce moment d’intimité apaisée, c’est sur un rythme de mambo étiré que l’alto mélancolique fait frémir Love in Translation.
Plus loin, les musiciens métamorphosent, Everything I Love, la ballade de Cole Porter, en adoptant un tempo rapide qui laisse exploser le versant extraverti de l’alto. Son jeu audacieux et frénétique embrase le vibraphone qui rivalise par un torrent de notes impétueuses. Drôlement osé mais rudement réussi !
L’album se termine avec Tamburo, une composition dédiée par Rosario Giuliani au trompettiste italien Marco Tamburini décédé en 2015. Au-dessus du tapis flottant que tissent en souplesse les balais sur les cymbales et avec en toile de fond l’accompagnement pointilliste du vibraphone, la contrebasse pleure des larmes de tristesse et le soprano chante une variation poétique chargée d’émotion.
Magnifiée, la mélodie demeure au centre de « Love In Translation ». Pas de sentimentaliste mais une musique riche en émotions même sur les tempi enlevés. Rien de convenu dans l’accompagnement de la paire rythmique mais une présence raffinée tout entière au service de l’atmosphère musicale. Rosario Giuliani élabore une expression peaufinée qui témoigne d’une grande maturité et d’une absolue maîtrise. Cela concourt au plaisir et au confort de l’écoute et force l’admiration. Cette dimension esthétique est par ailleurs accentuée par le jeu subtil et épuré de Joe Locke, l’expressivité raffinée de Dario Deidda et le drumming délicat de Roberto Gatto.
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