Souffle inspiré et vibrations libératoires
Avec « Jericho Sinfonia », le compositeur et saxophoniste Christophe Monniot propose une œuvre artistique remarquable. En soixante-six minutes l’album interpelle par la richesse de son propos. A partir du récit biblique de l’effondrement des murailles de Jericho se tisse un récit captivant. Une création musicale vibrante de spiritualité.
Paru en avril 2018, l’album « Jericho Sinfonia » (Ayler Records) résulte d’une direction artistique à trois têtes qui n’est pas sans rappeler celle d’un opéra. La sonographe Sylvie Gasteau en charge du livret, le compositeur Christophe Monniot en charge de la musique qu’il dirige et interprète avec les musiciens* du Grand Orchestre du Tricot réunis par le batteur Adrien Chennebault.
La richesse des arrangements, la puissance des improvisations, l’organisation des textes et des titres tout concourt à faire de « Jericho Sinfonia » une création singulière qui relie musique, science, poésie et spiritualité.
L’album
Au fil des dix plages, musiciens et instruments mêlent leurs vibrations à celles des voix qui lisent, témoignent ou commentent.
Des voix lisent des versets du livre de Josue, d’autres restituent la parole de Pasolini, lisent des poèmes de Sutzkever. Des scientifiques formulent des commentaires en lien avec des phénomènes physiques (résonance, vibration, fréquences, énergie).
Les musiciens du Grand orchestre du Tricot et Christophe Monniot interprètent la partition et improvisent lors d’un concert enregistré en décembre 2015 à « La Fabrique » à Meung-sur-Loire.
La musique illustre, relie les paroles et leur insuffle sa force.
Le livret
Cerise sur le gâteau, l’album est accompagné d’un livret comme on aimerait en consulter plus souvent. Il rend plus accessible encore le montage voix/musique des dix pistes de l’album. Il réunit une superbe présentation de Michel Pétrossian, la transcription chronologique des textes et les noms des improvisateurs.
Jazz et spiritualité
L’œuvre possède la force d’un pamphlet politique tout autant qu’elle adresse un clin d’oeil plein d’humour qui incite à la réflexion.
Par ricochet on en vient à se questionner sur le rôle de l’individu et celui du collectif, dans la musique certes mais aussi par effet miroir dans la société. L’album interpelle par ailleurs sur la place de la spiritualité dans le tissu sociétal, dans les arts et plus précisément dans la musique de jazz.
Cela fait écho avec les propos de Raphaël Imbert dans son ouvrage « Jazz supreme - Initiés, mystiques et prophètes » où il explore la dimension de la spiritualité dans le jazz.
Les propos de Christophe Monniot
Restitués ci-après, à l’issue d’un entretien cordialement accepté par le musicien lors de sa venue le 24 août 2018 à Jazz Campus en Clunisois, les propos de Christophe Monniot contribuent à éclairer cette présentation de l’album et à saisir mieux encore la cohérence de « Jericho Sinfonia ».
La posture du compositeur
Christophe Monniot rappelle que « le jazz a été au départ une musique de revendication, de posture politique et révolutionnaire autant qu’artistique ». C’est dans cet esprit qu’il lui est apparu essentiel « aujourd’hui d’adopter une posture parallèle à celle des boppers pour faire une œuvre musicale imprégnée de la société actuelle » qui témoigne de sa position « d’artiste et de citoyen relié à la société à laquelle [il] appartient et dans laquelle [il]vit ».
Une telle posture lui permet « de réfléchir aux mutations et aux changements géopolitiques fondamentaux » et de projeter « le fruit de ses réflexions dans la musique ». Ainsi, il « prend position dans cette société unilatérale » où il « exprime un point de vue séculaire enraciné dans les racines judéo-chrétiennes » qui sont les siennes.
« Jericho Sinfonia », deuxième tableau d’un tryptique
Christophe Monniot rapporte par ailleurs que « le début de l’écriture du projet remonte à la même période que celle où [il a[] conçu Vivaldi Universel ce qui lui permet de préciser que dans les faits, « Jericho Sinfonia » « fait partie d’un triptyque dont Vivaldi Universel serait le premier volet où la planète est attaquée par l’action des pays industrialisés avec les répercussions qu’on connaît. Jericho Sinfonia serait le deuxième tableau alors que La Nouvelle Terre, sans paroles, constituerait le troisième et dernier tableau ».
Il a conçu l’album « comme un opéra dont [il a] écrit la musique et Sylvie Gasteau le livret ». Elle a enregistré nombre des entretiens (hormis entre autres celui où Marguerite Duras interroge le petit François) qu’elle a montés. Ils se sont ensuite « réunis tous les deux pour construire le film et instaurer la cohésion entre les musiques et les paroles ».
Pour nommer son œuvre, Christophe Monniot a choisi le terme Sinfonia en hommage à Luciano Berio (auteur de « Sinfonia ») auquel le saxophoniste porte une grande admiration. Il dit avoir beaucoup écouté d’autres compositeurs qui ont irrigué son inspiration et cite « Messian, Coltrane et Bernstein« .
Une histoire musicale
Dans « Jericho Sinfonia », Christophe Monniot « raconte une histoire musicale à la manière d’un film co-réalisé avec Sylvie Gasteau » avec qui il avait déjà travaillé à l’occasion de « Vivaldi Universel ». « A l’intérieur de la narration vivent plusieurs personnages, la figure poétique, la figure politique, la figure historique, la figure biblique …. tout cela a un sens ».
Christophe Monniot a voulu « partir d’un évènement biblique » nourricier dont il revendique la force et la portée… « une muraille réputée infranchissable effondrée par de la musique, même si de fait c’est autre chose que de la musique… ». Dans Pré-Hymne est lu le texte de Josué à travers lequel est évoqué « une épreuve de foi, une ordonnance divine demandant à plus de deux milliers de lévites de tourner sans jouer puis de jouer au 7ème jour et de crier ».
Pour « concevoir la chose sérieusement », il a fait figurer des « témoignages de scientifiques qui corroborent le tout, évoquent l’onde sismique qui pourrait être déclenchée, la fréquence de résonance et le tremblement possible résultant de la marche au pas des soldats sur un pont, l’énergie sonore, la force de vibration ».
L’écriture
Interrogé quant aux modalités particulières de l’écriture de la musique, Christophe Monniot précise que Dans Cité, le « dernier thème avec plein de petites parties qui termine l’album a été écrit en tout premier ». Il lui est alors apparu « comme une synthèse à partir de laquelle [il a] développé ensuite les parties de ce tout pré-existant ».
Christophe Monniot s’exprime en soliste dans les trois Hymnes où il improvise et ensuite « donne la parole aux solistes de l’orchestre qui croient en la symbolique de l’art qui ouvre les frontières ».
L’instrumentation
Le texte biblique évoque les trompettes de sept prêtres alors que le Grand Orchestre du Tricot n’en compte que deux.
Christophe Monniot précise que le terme trompette recouvre en fait « les cornes de béliers utilisées en guise de trompes pour souffler la Terouah ». Il ajoute qu’aux trompettes s’ajoute « le saxophone baryton qui incarne les fréquences basses » des vibrations évoquées par les scientifiques.
« Les cloches tubulaires sont utilisées à trois reprises » et ces percussions jouent un rôle important dans la composition. Elles ouvrent le premier thème Veni Veni Emmanuel et incarnent alors « le désespoir, la douleur, la complainte, le problème, l’appel à l’aide, la prière à Dieu ».
Elles ré-interviennent dans Sonne, heure ! « quand la frontière entre le rationnel et l’irrationnel devient floue ». Ce morceau constitue « l’épicentre de l’œuvre », le moment où l’on entend les paroles des scientifiques, des extraits de « l’ultima intervista » de Pasolini lus par Roberto Negro en italien et Michel Richard en français. Sont alors évoqués le refus, la volonté d’abolir, l’énergie et la tendance au désordre, la cohésion de ceux qui se battent et résistent,.
On retrouve enfin les cloches tubulaires dans le thème ultime, Dans Cité. Leur sonorité figure alors « l’espoir après la chute du mur ».
« L’art guidé spirituellement peut faire tomber les murs »
Dans « Jericho Sinfonia », Christophe Monniot projette l’effondrement des murs de Jericho comme une allégorie qui fait écho à « tous les murs physiques (dont celui de Berlin) ou symboliques qui se dressent ou se sont dressés entre les hommes, entre les communautés« . Pour lui, « l’art guidé spirituellement peut faire tomber les murs ».
« Jericho Sinfonia », une œuvre artistique originale dont la musique intense et inventive fait alterner recueillement et tumulte. Un album-concept porteur d’espoir qui fait tomber les murs entre l’art et les sciences. Une contribution spirituelle au jazz du vingt-et-unième siècle.
*Les musiciens : Christophe Monniot (saxophones sopranino et alto), Roberto Negro (piano), Adrien Chennebault (batterie), Valentin Ceccaldi (violoncelle, horizoncelle, percussions), Florian Satche (batterie, percussions), Guillaume Aknine (guitare électrique), Jean-Baptiste Lacou (trombone), Gabriel Lemaire (saxophones alto et baryton), Quentin Biardeau (saxophones soprano et ténor), Alexis Persigan (trombone), Alan Regardin (trompette) et Yoann Loustalot (trompette, bugle).
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