Philosophie musicale et poétique
Le chanteur Kurt Elling revient avec « The Questions », son nouvel album. Il dépasse son statut de vocaliste de jazz reconnu et récompensé et mobilise ses talents au service d’un projet artistique. En 10 chansons il exprime ses espoirs, ses aspirations comme une réponse musicale aux questions qui se posent dans le monde.
« The Question » (Okeh/Sony), le nouvel album studio de Kurt Elling à paraître le 23 mars 2018 est la deuxième étape du partenariat musical initié en 2016 sur « Upward Spiral » (OKeh Records) entre Kurt Elling et Brandford Marsalis. Le saxophoniste Brandford Marsalis avait alors invité le chanteur Kurt Elling. Aujourd’hui leur collaboration continue avec la co-production de « The Questions » où le saxophoniste intervient sur trois titres.
Certes sur ce nouvel opus Kurt Elling revient avec sa superbe voix de baryton et ses quatre octaves. Il développe toujours son impressionnante maîtrise technique au service de climats émotionnels intenses et s’engage à travers les choix des titres, des paroles et des orchestrations. Lors du travail sur le mixage et l’ordre des morceaux, Kurt Elling a réalisé que toutes les chansons étaient reliées entre elles et faisaient écho, sous des angles d’approche différents, à des questions essentielles…
Qu’est-ce que cette vie ? Quel est le sens de la vie ? Pourquoi tant de souffrance et de douleur ? Où se trouve la source de la sagesse ?
Vis à vis de ces grandes questions existentielles qu’il perçoit dans le monde actuel et face aux défis multiples (individuel, spirituel, politique, environnemental), Kurt Elling envisage les textes et musiques des dix titres comme des pistes possibles pour ré-humaniser l’avenir et faire ainsi face à l’univers anxiogène. Le chanteur évoque ses aspirations sans asséner de réponses, il engage à se questionner pour continuer à espérer. N’est-ce pas la démarche d’un artiste-philosophe ?
Très attaché à la force des textes Kurt Elling inscrit aussi dans son projet la dimension créative de la musique, intérêt qu’il partage d’ailleurs avec Brandford Marsalis et les musiciens associés au projet, Marquis Hill (trompettes, bugle), John McLean (guitare), Stu Mindeman (piano, orgue Hammond B-3), Joey Calderazzo (piano), Clark Sommers (basse) et Jeff “Tain” Watts (batterie).
Le chanteur investit très largement l’héritage musical de ceux qu’il nomme ses « héros » pour « jouer de magnifiques mélodies et exprimer des émotions fortes ». Ainsi, l’album emprunte des titres certes au monde du jazz, à celui du Great American Songbook, puise aussi dans le répertoire des légendaires Bob Dylan, Paul Simon et Peter Gabriel et inclue deux morceaux originaux.
D’une chanson à l’autre on se laisse guider dans le va et vient construit entre questions, demandes et propositions stimulantes des auteurs.
Héritage des grands chanteurs américains
Les questions insistantes et les réponses perturbantes du titre A Hard Rain’s A-Gonna Fall de Bob Dylan ouvrent l’album avec un chorus déchirant du saxophone soprano de Brandford Marsalis. On entend la perte et la rédemption dans Washing of the Water de Peter Gabriele et l’on perçoit la résignation qu’exprime Paul Simon dans An American Tune.
Broadway et Great Americain Songboook
Lonely Town tiré de la comédie musicale américaine « On the Town » créée à Broadway par Leonard Bernstein, Betty Comden et Adolph Green, évoque le vide d’un monde intérieur dénué d’amour. Le solo lyrique et enlevé de Joey Calderazzo apporte pourtant une lueur d’espoir qui tranche avec le souffle un peu triste du flugehorn de Marquis Hill.
I Have Dreamed, tiré de la comédie musicale américaine » Le Roi et moi (The King and I) » créée à Broadway par Oscar Hammerstein II et Richard Rodgers évoque les limites qui existent entre imagination, rêve et réalité. Sur un tempo étiré le soprano de Brandford Marsalis répond avec élégance et lyrisme à la voix de Kurt Elling.
L’album « The Questions » se termine avec Skylark, la mélancolique ballade de Hoagy Carmichael/Johnny Mercer à laquelle le piano de Stu Minderman apporte une délicate touche de romantisme.
Du côté du Jazz
« Lawns » de Carla Bley devient Endless Lawns avec de nouvelles paroles conçues par Kurt Elling à partir d’un poème de Sara Teasdale. Il évoque la souffrance affective et la recherche de de la liberté. Le flugelhorn de Marquis Hill ajoute une touche supplémentaire de sensibilité.
La superbe pièce intrumentale de Jaco Pastorius, « Three Views of a Secret » se transforme en une célébration ré-intitulée A Secret in Three Views avec des paroles de Kurt Elling inspiré par Rumi (Djalâl ad-Dîn Rûmî), un poète mystique du XIIIème siècle. A travers les paroles Kurt Elling concède que la quête ne permet pas de comprendre sûrement le sens des choses et n’est pas toujours suivie de réponse mais il encourage à mobiliser la force de l’amour pour transformer les choses. Sans doute un des moments les plus modernes de l’album avec de superbes interventions de John McLean à la guitare et de Stu Mindemann à l’orgue Hammond B-3.
Chansons originales
Kurt Elling dédie sa nouvelle chanson, The Enchantress, à la mère de Branford Marsalis récemment décédée et à la sienne très âgée. Il a adapté un poème de Wallace Stevens sur une musique composée par le pianiste Joey Calderazzo dont le chorus mélancolique est soutenu avec nuance sur un tendre rythme de mambo ralenti par le batteur Jeff Tain Waits.
Enfin, le pianiste et arrangeur Stu Mindeman met en musique A Happy Thought, un poème plein d’assurance du poète américain Franz Wright.
Avec « The Questions » Kurt Elling entreprend un voyage sensible et inspiré. Avec pour seules armes la poésie, la musique, la force résiliente de l’amour et la souplesse sans pareille de sa voix, on chemine avec le chanteur du doute à la quête de sens, des inquiétudes à l’espoir. Convaincu par son art, on se laisse embarquer dans son monde auquel on adhère sans retenue aucune.
Kurt Elling présente « The Questions » en France au printemps lors de six dates. Les festivals de l’été ne sont pas cités. Il faut donc bouger pour être au rendez-vous : 10 avril 2018 à 20h30 au Brassin à Schiltigheim, 11 avril 2018 à 20h30 au théâtre Saint-Louis à Cholet, 13 avril 2018 à 20h au théâtre de Caen dans le cadre de « La Nuit Du Jazz », 14 avril 2018 à 20h30 au théâtre de Saint-Nazaire, 16 avril 2018 à 20h30 à l’Opéra de Nice Côte d’Azur à Nice dans le cadre des » Nice Jazz Festival Sessions » & 17 avril 2018 à 20h30 à l’auditorium de la Seine Musicale à Boulogne-Billancourt.
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