Entre virtuosité et humour son jazz balance
Annoncé pour le 19 janvier 2018, le deuxième album de la chanteuse Camille Bertault témoigne de ses multiples influences. A sa manière elle revisite jazz, musique classique et chanson française en seize titres où elle s’en donne à cœur joie. Son chant clame haut et fort sa virtuosité vocale. Entre folie pétillante et éclat bluffant.
Après le superbe CD « En Vie » (2016) qui donnait envie d’écouter plus encore la jeune chanteuse Camille Bertault, l’album « Pas de Géant » (Okeh/Sony Music) est annoncé pour le 19 janvier 2018.
Le titre du disque affiche l’attachement de la chanteuse au français et annonce aussi clairement que l’on va retrouver sur l’album une version de la composition de John Coltrane, Giant Steps. On ne doute pas non plus qu’il faille prendre ces trois mots au pied de la lettre car plus qu’un pas de côté c’est bien pour la chanteuse, d’un pas de géant dont il s’agit.
Camille Bertault a eu recours à un financement participatif pour autoproduire son premier CD. Suite à ses exploits numériques et à la vidéo de son scat échevelé de Giant Steps devenue virale sur Internet, la chanteuse a vite oublié son échec au Conservatoire de la rue de Madrid à Paris. En effet, repérée outre-Atlantique, la jeune-femme a vu son disque « En Vie » bénéficier d’une distribution par Sonnyside ce qui a contribué à la faire connaître au-delà d’Internet et ses réseaux.
Dans cette même dynamique Camille Bertault est présentée au trompettiste et arrangeur Michael Leonhart et au pianiste Dan Tepfer et son deuxième album réalisé sous le label OKeh est distribué par la major Sony Music. C’est donc à n’en pas douter un pas de géant que représente ce second opus dans la carrière de la chanteuse.
De « Pas de Géant » se dégage une impression d’aisance et d’énergie maîtrisée. Avec souplesse, espièglerie et énergie la chanteuse Camille Bertault fait danser et swinguer les mots en français, en anglais et en brésilien. Son phrasé souple est précis, le timbre juste, la voix souriante et empreinte de passion.
Il faut dire qu’elle est accompagnée par une équipe franco-américaine de luxe, avec le trompettiste, arrangeur et directeur musical Michael Leonhart et le pianiste Dan Tepfer, deux Américains francophones, le saxophoniste Stéphane Guillaume, l’accordéoniste Daniel Mille, le tromboniste Matthias Malher, les bassistes Christophe « Disco » Minck ou Joe Sanders, le violoncelliste François Salque et le batteur Jeff Ballard.
Camille Bertault a toutes les cartes en main pour jouer gagnant sur l’échiquier du jazz… la virtuosité d’un chant hors norme, le talent d’une auteure-compositrice qui fait swinguer la langue française, l’humour et un sourire charmant qui transparaît à l’écoute de l’album « Pas de Géant ».
Le répertoire de l’album s’alimente aux sources des arts qu’aime la chanteuse, le jazz certes mais aussi la musique classique qu’elle a pratiquée longtemps, la chanson française, sans oublier la comédie musicale et le théâtre. De titre en titre la chanteuse bouscule les syllabes et télescope les genres.
Du côté de la musique classique Camille Bertault scatte sur les variations Goldberg de Bach. Elle explore le monde de Ravel au fil d’un morceau intitulé Arbre ravéologique, un « medley » audacieux de plusieurs thèmes empruntés à Ravel. Deux exercices virtuoses et gonflés.
La chanteuse va ensuite se promener du côté de la « Nouvelle Vague » avec La Femme coupée en morceaux écrit par Michel Legrand pour le film de Jacques Demy « Les Demoiselles de Rochefort ». Très proche de la version de Danielle Darrieux, celle plaisante et fraîche de Camille Bertault ne bouleverse pas le paysage de l’originale mais on ressent le goût de la chanteuse pour la comédie musicale.
Le jazz est à l’honneur avec la reprise de trois standards dont le très attendu Giant Steps de Coltrane renommé Là où tu vas. Avec l’autorisation de Ravi Coltrane (le fils de Trane), la chanteuse a écrit des paroles savoureuses sur la totalité des mesures du chorus de Coltrane qu’elle suit à la lettre. On apprécie encore mieux avec le texte sous les yeux car l’écriture est dense.
Camille Bertault a aussi repris Very Early de Bill Evans dont elle donne une version empreinte d’une douce poésie. Enfin elle s’empare de la composition de Wayne Shorter, House of Jade, qu’elle rebaptise sans trahison, Casa de Jade et interprète en brésilien. On apprécie le scat intégré dans un écrin de douceur même si les contrechants et échos de sa voix surajoutés à la musique altèrent quelque peu la sobriété du morceau.
Sur « Pas de Géant » figurent les reprises ds trois grands titres de la chanson française que sont Je me suis fait tout petit de Georges Brassens, Je voulais te dire que je m’en vais de Gainsbourg et Conne de Brigitte Fontaine. La chanteuse Camille Bertault s’attaque à des morceaux dont il n’est pas toujours aisé de dépayser les originaux, ancrés dans la conscience collective.
Brassens et le jazz faisaient déjà bon ménage (on se souvient de Moustache) et la conception musicale de Gainsbourg permet toutes les audaces même le rythme binaire aux échos funky trop sages que propose l’album. Par contre la version de Brigitte Fontaine portait en elle tant de folie qu’il est difficile de s’y frotter sans que cela ne s’apparente à une parodie un peu fade.
C’est en écoutant les compositions pop de Camille Bertault que l’on on saisit combien la chanteuse utilise sa voix pour valoriser les textes dans lesquels on peut saisir son humour sur Comptes de fées, son amour pour la « Grande Pomme » sur Nouvelle York et ses humeurs sur Entre deux immeubles et Winter In Apremont, un texte pudique chanté en anglais.
Sans doute certains trouveront le chant de Camille Bertault trop démonstratif, d’autres puristes assimileront la proposition de cette artiste comme relevant de l’insolence et cherchant à séduire un public éloigné du jazz. Pourtant tous tomberont d’accord pour reconnaître que la chanteuse possède les atouts d’une musicienne avérée et qu’elle a tout pour réussir. En effet, il s’avère impossible de mettre en doute la virtuosité de la chanteuse, son aptitude à composer et sa passion pour l’écriture de textes en français, ce qui relève d’une démarche suffisamment rare pour que l’on s’en réjouisse. Ensuite, libre à chacun de s’enthousiasmer sans limite ou de prendre un peu de recul mais il demeure que la prestation discographique de la chanteuse ne laisse pas indifférent. La scène dira s’il s’agit d’un phénomène éphémère ou d’un talent durable qui gagnera en épaisseur et en émotion au fil des ans.
Deux rendez-vous se profilent pour écouter live la chanteuse Camille Bertault et le répertoire de l’album « Pas de Géant ». Elle se produit à Paris le 20 janvier 2018 au Trianon et le 08 mars 2018 au Café de la Danse.
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