Voyage musical lumineux
Le 25 août 2017, à 21h, le Théâtre Les Arts de Cluny affiche complet. Le public s’est mobilisé pour écouter le nouveau projet « African Jazz Roots » de Simon Goubert et Ablaye Cissoko. Rythmes et lumière.
C’est avec un enthousiasme non dissimulé que Didier Levallet présente devant une salle comble le projet et les musiciens invités par Jazz Campus en Clunisois pour la dernière soirée au Théâtre Les Arts de Cluny. Le batteur Simon Goubert et le joueur de kora Ablaye Cissoko co-leaders du projet « African Jazz Roots ». Ils se présentent en quartet avec à leurs côtés le contrebassiste Jean-Philippe Viret et la pianiste Sophia Domancich.
Le répertoire rend à la fois hommage à la tradition musicale sénégalaise et au jazz de John Coltrane. La musique du groupe est conçue pour valoriser les fondements musicaux communs aux deux langages.
Les quatre musiciens ont contribué à l’écriture du répertoire et Simon Goubert a assuré la direction du projet. Malgré la grande complicité qui existe entre les quatre protagonistes, il n’en demeure pas moins qu’un travail préalable a été nécessaire. En effet, le projet n’a aucunement l’objet de simplement juxtaposer le vocabulaire du jazz et l’expression traditionnelle de la kora. Le propos du groupe est vraiment de générer une coexistence et de vrais liens entre les deux idiomes.
Il est vrai que le travail avait déjà commencé entre les deux leaders en 2010 lors de leur première rencontre au Festival de Saint-Louis-du-Sénégal suivi en 2011 par l’enregistrement de l’album « African Jazz Roots » sorti en novembre 2012.
Les artistes du quartet ont confronté leurs approches différentes de la musique, pour cerner précisément les fonctionnements, les rôles de chacun et aussi pour intégrer la kora dont les caractéristiques physiques exigent du musicien qu’il pratique un accordage spécifique pour pouvoir moduler son expression dans un mode ou dans un autre. Cet exercice délicat est une condition préalable essentielle à laquelle Ablaye Cissoko est obligé de se plier avant de commencer un morceau en fonction du mode musical dans lequel le morceau est écrit, pour pouvoir s’exprimer au sein du groupe.
Quand on sait que l’instrument possède 21 cordes on conçoit combien l’affaire se corse. Ainsi au cours du concert de ce 25 août 2017, Ablaye Cissoko a dû accorder son instrument à plusieurs reprises pour pouvoir s’exprimer alternativement sur trois modes, le mode Syllaba, le mode Toumara et le mode Sawouta. On comprend aussi pourquoi, le joueur de kora limite ses interventions lorsqu’il existe des modulations au cours d’un même titre puisqu’il ne peut se ré-accorder en cours de morceau.
De plus la kora ne pouvant s’accorder dans tous les modes utilisés en jazz cela contraint les compositeurs à prendre cela en compte dans leur écriture pour qu’il soit possible à Ablaye Cissoko d’improviser librement. De facto, c’est bien en ce sens que les quatre musiciens ont élaboré le répertoire du groupe et c’est en grande partie pour cela que la fusion des deux mondes musicaux fonctionne.
Avant le concert Simon Goubert évoque la fantastique forêt de baobabs qui existe entre Dakar et Saint-Louis du Sénégal et qui l’a inspiré pour écrire le titre De Dakar à Saint-Louis. Le groupe enchaîne avec une composition de Jean-Philippe Viret en hommage à Saint Awawa. Le contrebassiste dont on apprécie l’élégance ouvre le morceau à l’archet et avec la kora, il esquisse le thème d’une fluidité exquise. La harpe-luth donne ensuite à entendre son chant lumineux que soutiennent avec légèreté le piano et la batterie d’une souplesse inouïe.
Pendant qu’Ablaye Cissoko accorde son instrument, Simon Goubert fait patienter le public et exprime avec simplicité la relation qui le lie avec ce pays et ses traditions.
Avant de jouer le morceau suivant composé de deux thèmes qu’il a lui-même écrits, le griot apporte quelques précisions quant au message qu’il transmet à travers les paroles chantées en mandingue. Le texte est une mise en garde qui exhorte l’homme à « se connaître et à rester dans es limites », à « conserver sa dignité et le droit de refuser, de dire non aux dirigeants, d’en avoir le courage ». Il se lève pour chanter et s’adresse tour à tour à ses compagnons et aux auditeurs. D’abord véhément, le chant devient une lamentation que poursuit la complainte de la kora.
Après les remerciements qu’adresse Simon Goubert à Didier Levallet pour tout ce qu’il « a fait pour la musique, les musiciens, le festival et la Bourgogne », le groupe continue avec Au Loin, le thème de Sophia Domancich qui donne son titre à l’album du groupe déjà pressé.
Ce morceau écrit et interprété dans la pure veine coltranienne est suivi de la composition de Simon Goubert Sur le Pont Faidherbe écrit en hommage à cet édifice emblème de Saint-Louis-du-Sénégal. Les interventions du batteur sur ce morceau final ne sont pas sans évoquer la puissance et la verve d’un certain Elvin Jones. En réponse à l’accueil enthousiaste du public, les musiciens reviennent pour un rappel, visiblement heureux de l’accueil reçu.
Au final, le répertoire réalise une fusion réussie entre le langage du jazz moderne et les sources de la musique mandingue que le griot, chanteur et joueur sénégalais de kora Ablaye Cissoko (de son vrai nom Kimintang Mahamadou Cissoko) incarne à la perfection. La grande rigueur rythmique et harmonique, les couleurs traditionnelles de la kora et de la voix du griot participent à créer un climat où la transe induite par les mélopées entêtantes de la kora résonnent avec celles que l’on retrouve dans le jazz modal coltranien.
Sur la rythmique subtile impulsée par la batterie,la kora et le chant habité du griot sont soutenus par le jeu délicat de la contrebasse et les nuances du piano. Il en ressort une dimension incantatoire voire spirituelle.
A l’issue de la soirée Simon Goubert propose au public de repartir avec un enregistrement qui reprend le répertoire du concert. Il s’agit de l’album « Au Loin » (Ma Case Prod) dont la sortie est annoncée pour le 22 septembre 2017 et que l’on retrouve prochainement dans une chronique.
Sous le charme de cette musique lumineuse, on se laisse transporter dans voyage musical nuancé et riche dont on ressort dépaysé et serein.
Merci à Simon Goubert et Ablaye Cissoko pour leur disponibilité et les précisions fournies.
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