L’univers evansien retrouvé
Le label Concord propose un concert inédit du pianiste américain Bill Evans, enregistré le lundi 15 novembre1976 au Madison Union Theater de l’Université du Wisconsin, en trio avec le bassiste Eddie Gomez et le batteur Eliot Zigmund. « On a Monday Evening », un album précieux.
C’est le 15 novembre 1976 un lundi soir au Théâtre de l’Union de l’Université de Madison du Wisconsin. Bill Evans est au piano, Eddie Gomez tient la contrebasse et Elliot Zigmund la batterie. Le concert est brillant … en tout cas c’est ce que l’on ressent quarante et unes années plus tard à l’écoute de cet album inédit, « On a Monday Evening » (Concord/Universal).
Certes depuis le décès de Bill Evans en 1980, sa discographie impressionnante ne cesse de s’épaissir s’enrichissant d’inédits en provenance des Etats-Unis, du Japon ou d’Europe mais tous les albums ne présentent pas un intérêt essentiel. Récemment on a eu l’occasion d’écouter « The Bill Evans Album » (Columbia/Sony) une réédition d’une session enregistrée en 1971 avec le même Eddie Gomez à la contrebasse et Marty Morell à la batterie. Le propos n’est pas enthousiasmant même si tous les titres enregistrés sont très bien interprétés (uniquement des compositions du pianiste). Pas de réelle magie. Ce n’est pas le cas pour ce qui concerne « On a Monday Evening » jamais publié, ni même piraté et enregistré live avec l’un des meilleurs trios de la fin de carrière de Bill Evans.
Après avoir interviewé Bill Evans pour la station de radio du College, Larry Goldberg et James Fraber parviennent à utiliser l’appareil de contrôle de la station et enregistrent le concert qu’ils conservent précieusement pour la postérité. Remastérisé à partir des bandes analogiques originales via l’utilisation des techniques les plus récentes de restauration, les enregistrements proposés sur « On A Monday Evening » présentent un excellent concert de jazz donné un certain 15 novembre 1976 par un Bill Evans au sommet de son art.
En effet, la musique du trio de Bill Evans entouré du bassiste Eddie Gomez et du batteur Eliot Zigmund témoigne de la force de l’art evansien à un moment charnière de sa carrière. Il s’agit d’un concert tonique un peu différent de ces moments introspectifs que le pianiste avait coutume d’offrir aux spectateurs. Comme à son habitude, le pianiste interprète des morceaux qui lui sont familiers. Huit titres dont trois de ses compositions personnelles, Sugar Plum, T.T.T. (Twelve Tone Tune), Time Remembered et des standards qu’il ré-interprète inlassablement tout au long de sa carrière comme, All of You ou Someday My Prince Will Come.
« On a Monday Evening ». La qualité sonore est remarquable et sans les applaudissements, on oublierait presque qu’il s’agit d’une prise live. La performance musicale du trio est éclatante de bout en bout. On constate combien chacun des musiciens s’exprime librement au sein de ce trio. On retrouve les subtilités mélodiques, le discours harmonique très développé du pianiste et son jeu quasiment polyphonique. Il ne s’agit pas du Bill Evans méditatif et introspectif qu’il nous est souvent donné d’écouter mais d’un Bill Evans au jeu intense, lyrique, souple mais toujours subtil et raffiné.
Un titre du répertoire allège la dimension tonique de l’album. Il s’agit du magnifique morceau Minha (All Mine) que Bill Evans interprète avec une grâce rare, comme en apesanteur. La contrebasse et la batterie servent avec délicatesse et légèreté le propos du pianiste. Bill Evans joue rubato comme les pianistes romantiques le font. Le climat devient impressionniste. Un délicieux moment de rêverie.
A l’écoute de l’album « On a Monday Evening » on perçoit aussi une des caractéristiques introduites par Bill Evans dans le jeu du trio. Celui qui consiste à favoriser l’expression de chacun des musiciens, ce qu’on nomme l’interplay ou jeu interactif. Si la profondeur harmonique de l’accompagnement d’Eddie Gomez est indéniablement perceptible on apprécie surtout de pouvoir écouter ses brillants chorus à l’archet sur All of You par exemple et ses improvisations volubiles, rapides et très déliées sur le manche de la contrebasse lors de ses échanges soutenus avec le pianiste comme sur T.T.T. Le batteur Zigmund Eliot vient tout juste d’intégrer le trio de Bill Evans et restera avec lui jusqu’en 1979. Son accompagnement subtil cède le pas à des frappes pêchues et inspirées dès qu’il lui est donné d’intervenir lors des échanges 4/4 ou des improvisations.
Cet album « On a Monday Evening » (Concord/Universal) vient enrichir l’héritage discographique de Bill Evans, ce pianiste devenu une référence, un modèle pour des générations de pianistes, celui qui possède l’art de sublimer la mélodie, celui qui a « créé » une esthétique particulière et a renouvelé l’art du trio. Bill Evans a en effet sorti la batterie et la contrebasse de leur rôle d’accompagnateur et a ainsi renouvelé la formule du trio jazz moderne piano/contrebasse/batterie.
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