Une double réalité, tantôt jazz, tantôt créole
Sur son nouvel album « Reflets Denses », Sonny Troupé explore des mélodies gwo ka qu’il arrange. La matière première prend des reflets différents, tantôt jazz, tantôt créole. Un quartet, un trio, deux saxophones pour diffracter le même sujet musical. Une musique chaleureuse loin des formats standards.
Héritier de la tradition gwo ka, le batteur et percussionniste guadeloupéen Sonny Troupé fait partie de cette nouvelle scène jazz dynamique et créative venue des Antilles. Son univers gravite aux frontières de plusieurs mondes. Après « Voyages et Rêves » (2013) puis « Luminescence » (2015) en duo avec Grégory Privat, Sonny Troupé récidive avec un nouvel album « Reflets denses » sorti le 05 avril 2017.
Sonny Troupé a travaillé durant trois ans pour préparer cet album. Il a étudié, écouté, analysé la musique gwo ka, sa tradition et sa modernité. Le disque restitue l’authenticité de cette musique. Il s’est amusé à exploiter de manière différente une même base de mélodie pour qu’à la fin les musiques restituent des reflets différents, tantôt plus axé sur le gwo ka moderne, tantôt plus orienté vers le jazz. Bien sûr à cela, Sonny Troupe rajoute des métriques issues du métal qu’il a aussi étudié sans oublier quelques pincées d’électro pour pimenter le tout.
Le tambour ka, la percussion traditionnelle de la Guadeloupe, demeure au cœur de la musique de Sonny Troupé mais son ouverture aux mondes musicaux le conduit à confronter ses racines caribéennes avec les autres influences. Sur l’album « Reflets Denses », il interroge l’identité créole de sa musique au travers du prisme de ses autres influences, jazz, fusion, metal. Il navigue entre passé et présent pour envisager l’avenir. Il reconfigure la tradition pour transfigurer le présent et nous invite en quelque sorte à un voyage à travers le temps. L’expérience est très plaisante.
Pour « Reflets Denses », Sonny Troupé ne lésine pas sur les moyens et réunit plusieurs formations et musiciens. Bien sûr le Sonny Troupé Quartet avec le pianiste Grégory Privat, le bassiste Mike Armoogum, le tambouyé Olivier Juste, et lui-même, à la batterie et au tambour maké.
Le groupe Reflets Denses avec le pianiste Jonathan Jurion, le bassiste Michel Alibo et le tambouyé Arnaud Dolmen. L’entité « Add 2 » composée de Thomas Koenig au saxophone ténor et à la flûte et Raphaël Philibert au saxophone alto. Sans oublie des invités. Christian Laviso qui intervient à la guitare sur Twa Jou San Manjé. Lucie Kancel et Patrice Hulman pour les chœurs, le jeune Djokaèl Méri au tambour maké sur l’introduction du thème Equation.
Un maître de musique derrière ses tambours. Trois binômes où chaque instrumentiste est le reflet de l’autre, piano, basse et gwo ka. Un duo de saxophones pluriels, avec le ténor qui penche vers le jazz et la fusion alors que l’alto est plus baigné dans le gwo ka et la musique antillaise. Un guitariste expert des rythmiques et harmoniques ka. Le résultat est à la mesure de l’effectif. Outre les prestations des musiciens, l’album intègre au fil des plages des samples sous des formes variées. Chant du coq qui ouvre le disque et évoque le début du jour, ambiances de rue, vie de marché et aussi chanteurs traditionnels et musiciens (Lin Canfrin, Kristen Aigle, Sergius Geoffroy, Robert Oumaou…).
Titre après titre, d’un reflet à un autre, les ambiances alternent. Pianistes et bassistes se croisent. Jonathan Junion se rapproche de Mike Armoogum sur la ballade intitulée Une fin ? D’une facture plus contemplative que les autres morceaux du disque, ce thème pourrait autant annoncer un début qu’une fin mais avec le temps, qui sait ?
Sur Evocation, flûte, saxophone et piano fusionnent très contenus par une section rythmique plutôt ronde. Grégory Privat chemine avec Michel Alibo. Ça sonne très jazz au niveau des expositions de thèmes et des improvisations.
Sur Twa Jou San Manjié du compositeur Guy Kontèt la contribution du guitariste Christian Laviso accentue le climat tendu du morceau. Rythmiques complexes des percussions que les saxophones poussent dans leurs retranchements. La basse se joint à la mêlée musicale jusqu’à la résolution finale éclatée et salvatrice.
L’écoute du quatrième titre, Le Temps, est un régal. Les percussions scandent avec violence l’infinie force du temps, la basse ronfle, le piano évoque la ronde des heures qui filent, les saxophones crient jusqu’au paroxysme l’avancée inexorable du temps qui passe alors qu’on demeure suspendu à la voix du « diseur de texte » (dixit Sony Troupé) Toma Roche qui a mis en mot la fuite du temps et le rapport que l’homme entretient avec lui… « Le temps nous aime comme des enfants, nous berce à sa pendule, nous fait devenir grand, nous fait devenir grand, nous donne du recul, nous pousse vers l’avant… pour nous les enfants de peur le temps est relatif… avant que l’on renonce pour ne pas avoir peur de l’avenir en attendant la réponse, on passe son temps à regarder son heure venir… comprendre que tout y passera… le temps nous serre entre ses bras de pierre… se joue de nous et nous laisse infinis, infinis… dans la tempête du temps je tente d’attraper le temps par les deux bouts… «
« Reflets Denses ». Onze titres à la fois différents et ressemblants. Une matière sonore chaude et flamboyante à la fois. On embarque avec le coq mais impossible de débarquer. On laisse l’album tourner en boucle pour mieux s’immerger dans le caraïb’jazz de Sonny Troupé et ses amis musiciens.
Et pour vivre en concert la musique de « Reflets Denses », rendez-vous le le 10 mai 2017 à 20h au Centre culturel Barbara, 1 rue Fleury à Paris.
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