« Le bruit de tes talons », du post-tango insolent et passionné
Après le Tango Nuevo de Piazzola, le Tango Blues de Melingo, les huit musiciens du groupe Serpientes se revendiquent du « Post Tango ». Cet octet inventif sort un premier album déchaîné, « Le bruit de tes talons ». Un opus insolent et libre. Un tango mutant aux accents rock poignants.
« Serpientes » construit un tango transgenre où tragique et solennel se côtoient. Si le groupe transgresse les codes en s’abreuvant au rock et aux musiques improvisées, il ancre son discours dans la tradition. Son premier album, « Le bruit de tes talons », offre un tango qui danse entre passion et modernité.
De fait, « Serpientes » est le prolongement du quartet « Tangoleon ». Ce quartet de tango crée par le pianiste Laurent Gehant et l’accordéoniste Sophie Azambre le Roy compte aussi le contrebassiste Mathieu Barbances et l’harmoniciste Emmanuel Bosser qui joue aussi d’un tas d’autres instruments étonnants. Pour créer un tango encore plus actuel tout en s’appuyant sur la tradition, le quartet s’est adjoint quatre autres instrumentistes. Ainsi, avec le batteur Jean-Pascal Molina, le guitariste électrique et chanteur Claude Whipple, la violoniste Caroline Pearsall et la violoncelliste Sabine Balasse, est né l’octet « Serpientes ».
Après recours à un financement participatif sur la plateforme numérique Proarti, « Serpientes » a pu finaliser les huit titres de l’album « Le bruit de tes talons » sorti le 29 novembre avec une magnifique pochette créée après 3 semaines de travail avec les typographes de « La fin du monde ». les morceaux sont principalement de compositions de Laurent Gehant ainsi que quelques morceaux prêtés par des compositeurs argentins contemporains. Sans oublier quelques standards de tango comme la version renouvelée de Volver que propose le groupe avec une ambiance surréaliste qui regarde du côté du western.
Les influences revendiquées par le groupe donne une idée de la pluralité des esthétiques qui se croisent au sein de l’expression de Serpientes. Astor Piazzola, Ennio Morricone, Nino Rota, Charlie Mingus, Carla Bley, John Zorn, Altertango, Vinicius Capossela, Surnatural Orchestra, Jerez Le Cam, Mr Bungle. Issu d’un tel creuset, pas étonnant que le discours musical de « Serpientes » soit riche, atypique et renouvelle le style du tango.
Ainsi, les huit conquistadors se lancent à l’assaut du tango et créent un post-tango qui prolonge en quelque sorte le tango originel de Gardel et le nuevo tango de Piazzola. Une musique qui prend des libertés avec celle des origines. Un tango qui aurait cannibalisé le rock et le jazz et détourné la puissance du premier et la liberté du second pour accentuer la dimension tragique d’un post-tango.
On aime Torpe et son ambiance tragique de fin du monde où la plainte du saxophone de Julien Loureau accentue et prolonge la dimension poignante du chant de Claude Whipple. Une ambiance sombre caractérise le titre 100m où l’harmonica ouvre le bal pour donner ensuite la parole à l’accordéon et aux cordes. Une sorte d’intrigue policière qui hésite entre nostalgie et humour où la silhouette d’une panthère rose chercherait le coupable d’un larcin commis au coin de sombres ruelles.
Le morceau Maïs transgénique est tout à fait représentatif de l’ADN de « Serpientes ». Il restitue l’essence même de ce post-tango imaginatif et progressif où la guitare électrique tranchante pilote l’orchestre loin des sentiers de randonnée du tango pour mieux y revenir.
« Serpientes » parvient à élargir les frontières du tango sans le trahir. Ainsi irradié par un rock déchaîné, le tango conserve son ADN originel mais peut se projeter dans l’avenir. Étonnant et détonnant à la fois, « Le bruit de tes talons » invente une musique qui peut rallier les amateurs de jazz et de rocks même s’il peut questionner les puristes du tango.
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