« Lovers », une musique à savourer sans modération
Entouré d’un écrin orchestral, le guitariste Nels Cline livre une création peaufinée avec un double album de jazz instrumental intitulé « Lovers ». Cet opus mélodique et raffiné au romantisme émouvant est à partager avec tous les amoureux de musique.
On a portant craint le pire en voyant la couverture de l’album qui émarge aux frontières d’un monde féérique où sévirait un cupidon de pacotille. On a dépassé le packaging, écouté le contenu musical choisi par Nels Cline et découvert une réalisation originale dont la qualité s’est imposée d’emblée. Le guitariste donne à son album un tempo bien éloigné de celui que nous impose le « vivre vite » quotidien. C’est un bonheur sans pareil de savourer la musique de « Lovers », comme on le fait avec un carreau de chocolat qu’on laisse fondre doucement pour mieux en apprécier la saveur.
Même s’il dispose des atouts pour être accessible à un large public, « Lovers » n’en demeure pas moins un vrai disque de jazz (si tant est qu’il y en ait des faux !?) et ne peut en aucun cas être étiqueté musique d’ambiance. En effet Nels Cline n’a pas joué la facilité et d’ailleurs, après plusieurs écoutes attentives on découvre encore de nouvelles nuances et on capte des détails passés inaperçus.
« Lovers ». Une musique subtile et sensuelle. Un cocktail dont la dominante orchestrale apparentée à un jazz presque « cool » serait relevé d’un trait pétillant et acidulé de subtiles dissonances électriques. « Lovers » se déguste en long drink sans modération !
Avec de nombreux enregistrements à son actif, le guitariste et compositeur Nels Cline a exploré une panoplie de nombreux styles musicaux, musique alternative et expérimentale, musique punk et jazz. Aujourd’hui on le connaît surtout pour sa participation au groupe de rock « Wilco » mené par Jeff Tweedy. Le guitariste conduit par ailleurs de nombreux autres projets personnels dont cet album fait partie. En effet Nels Cline avoue que « Cela fait bien 25 ans que je rêve de ce disque … qui devait depuis toujours s’appeler « Lovers ».
Au sein du groupe « Wilco » Nels Cline adopte jeu plutôt dissonant et affectionne les larsens. C’est donc d’autant plus surprenant de l’écouter caresser les cordes de ses guitares entouré d’un écrin orchestral de vingt-trois musiciens dirigés par Michael Leonhart, un autre multi-instrumentiste de talent.
Instruments à cordes, vents, harpe, vibraphone, instruments de jazz et de rock comme la guitare tenue par l’excellent Julian Lage, célesta et synthétiseurs joués par Yuka C. Honda, compagne du leader et signée chez Tzadik (label de John Zorn). La sonorité cristalline de la guitare est servie et mise en évidence par une remarquable réalisation qui propulse en avant le chant limpide des cordes de la guitare et conserve les arrangements de l’orchestre en arrière-plan.
Tout concourt à valoriser les interventions du guitariste, dont le chant concis s’apparente à celui d’un chanteur servi par la matière orchestrale.
De bout en bout des 18 titres, l’album présente une grande cohérence. En effet, Nels Cline a très bien organisé les thèmes de son double album où cohabitent cinq compositions originales et treize reprises dont certaines très connues et d’autres plus obscures. Quelques titres sont redevables au monde du jazz : Jimmy Giuffre, Anette Peacock, Arto Lindsay, Gabor Szabo et Michel Portal. D’autres thèmes émergent du grand répertoire de la chanson américaine : The search for Cat d’Henry Mancini, Why was I born ? de Jerome Kern, et Glad to be unhappy de Richard Rodgers. On écoute I have dreamed de ce même Richard Rodgers.
Parmi tous les morceaux, on apprécie l’habillage décalé de Lady Gabor et les intermèdes bruitistes voire dissonants qui émaillent le titre The Nighy Porter de Daniele Paris juxtaposé à Max Mon amour de Michel Portal. Une atmosphère de fin du monde dont on aime à croire que l’amour nous protège. On se délecte aussi de l’habillage bluesy donné à Cry Want, titre écrit par le saxophoniste et clarinettiste Jimmy Giuffre. On tangue comme dans un rêve à la sensualité exotique et torride à l’écoute de Snare, Girls de Sony Youth.
Nels Cline reprend It Only Has to happen once d’Arto Lindsay. Il se démarque un peu de l’ambiance bossa-post funk que le créateur avait choisi lors de l’enregistrement de l’album « Greed » en 1988 avec « Ambitious lovers » (Airto Lindsay, Peter Scherer et Paulinho da Viola). Pourtant la version du titre enregistré par Nels Cline n’en demeure pas moins en étroite filiation avec la version d’origine à travers les bidouillages saturés des cordes de guitares.
On reste suspendu à l’écoute de Glad to be unhappy dont les arrangements évoquent ceux de Gil Evans. Drumming allégé des balais d’Alex Cline (le frère de Nels), cordes qui valorisent la délicate ligne mélodique de la guitare et s’enroulent autour des sons de la trompette bouchée. Parmi les compositions originales du guitariste de Nels Cline on a aussi aimé l’élégance de ses deux titres Hairpin & Hatbox, The Bond et The bed we made
Certes les 90 minutes de l’album peuvent paraître longues à ceux qui sont consomment plus la musique qu’ils ne l’écoutent. En effet une telle durée de musique requiert de l’auditeur une réelle disponibilité mais la récompense est à l’aulne de la durée d’enregistrement. Et on peut partager ce temps en bonne compagnie, ce qui ne peut qu’augmenter le plaisir !
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