L’Afrobeat s’invite dans la Salsa
Angelique Kidjo explore en musique les racines africaines de Celia Cruz sur les dix titres de l’album « Celia ». Très engagée à servir la musique de la diaspora africaine elle entretient un rapport très fort avec les musiques afro-latines. Ainsi, sur « Celia », la chanteuse béninoise réinvente la salsa dans un cocktail fort réussi où se croisent sonorités latines et africaines, incantations et rythmes effrénés.
Sur l’album « Celia » (Verve/Universal) sorti le 19 avril 2019, la chanteuse Angelique Kidjo se penche sur la figure iconique de Celia Cruz (1925-2003) consacrée « Reine de la Salsa », ce genre musical inventé entre Miami et New York par les diasporas cubaine et portoricaine.
Fascinée par l’énergie de celle qui fut la figure de proue de la salsa, Angelique Kidjo insuffle dans la Salsa la force de l’Afrobeat et la richesse de la culture yoruba originaire d’Afrique et encore très vive à Cuba.
La chanteuse béninoise remonte aux racines africaines des chansons salsa de Celia Cruz qu’elle réinterprète dans le style afrobeat.
Angelique Kidjo réunit une pléiade d’artistes
Pour son projet, Angelique Kidjo a travaillé entre New York et Paris avec le multi instrumentiste et percussionniste David Donatien qui a aussi assuré les arrangements. Soucieuse de véracité, elle s’est adressée à celui qui a inventé l’Afrobeat avec le chanteur et compositeur Fela Kuti, le batteur nigérian Tony Allen. Son récent album « The Source » où il mêle jazz et musique africaine a encore prouvé sa capacité exceptionnelle aux mélanges de styles.
C’est l’énergique Meshell Ndegeocello qui tient la basse. La musicienne américaine est elle aussi connue pour intégrer tous les genres musicaux dans son expression, R&B, hip-hop, spoken word, rock, électro, reggae, folk, afro-beat ou jazz. Angelique Kidjo s’est par ailleurs adjoint les services de Shabaka Hutchings, saxophoniste ténor londonien originaire de la Barbade qui, avec Sons Of Kemet, nourrit son jazz de hip hop, spoken word, dub ou calypso.
Véritable cerise sur le gâteau,The Gangbé Brass Band a rejoint la chanteuse. Par sa vitalité et son expérience de plus de 25 ans, la fanfare béninoise contribue à apporter une teinte supplémentaire de véracité.
Deux femmes aux destins parallèles
L’album « Celia » croise les destins de deux femmes. Deux femmes qui ont eu la force de s’exiler. Deux chanteuses qui ont imposé leur art dans le monde masculin de la musique.
Après avoir quitté Cuba en 1959 en raison de la révolution castriste Celia Cruz s’est installée à New-York et a rejoint Tito Puente en 1966. Devenue une des voix des exilés cubains, elle a participé à construire ce style dont elle devenue une figure majeure de son vivant et aujourd’hui encore.
La jeune Angelique Kidjo a découvert la salsa au Bénin en 1974 écoutant Célia Cruz venue chanter avec Johnny Pacheco à Cotonou. Dans ses chansons elle avait déjà perçu la force des chants et rythmiques yoruba des esclaves béninois qui avaient traversé l’océan de l’Afrique vers l’Amérique via les bateaux de la traite esclavagiste et étaient revenus en Afrique sur les navires marchands reliant pays post-coloniaux ouest-africains et Cuba.
Après s’être elle aussi exilée à New-York pour fuir les régimes marxistes-léninistes du Bénin entre 1974 et 1990, Angelique Kidjo s’est ensuite engagée dans la valorisation de la musique africaine dans le monde. Ainsi, après s’être réapproprié l’héritage africain exploité avec talent par « Talking Heads » dans l’album « Remain In Light » la chanteuse béninoise revient aujourd’hui avec son projet « Celia »
La chanteuse avait déjà donné un avant-goût de son hommage à Celia Cruz le 07 juillet 2017 dans le cadre de la soirée Cuba du Festival « Jazz à Vienne » où elle avait embrasé le Théâtre Antique de son chant et convié le public à une véritable cérémonie de santeria.
Le répertoire de l’album « Celia » propose une version aboutie du projet.
Dix titres croisent Afro beat et Salsa
Cucala ouvre l’album en fanfare avec des riffs de guitares afro pop, le shuffle afrobeat de Tony Allen et les accents cuivrés du Gangbé Brass Band. L’africanité de la salsa ne fait vraiment aucun doute.
La cumbia La Vida Es Un Carnaval, créditée au composteur argentin Victor Daniel, a été enregistrée en 1988 par Celia Cruz. Angelique Kidjo dépayse le thème dans une dynamique éthio-jazz issue en droite ligne d’Addis-Abeba. Le solo de saxophone de Shabaka Hutchings flotte au-dessus des grondements du tuba de Theon Cross et de la rythmique soutenue par la solide basse de Meshell Ndegeocello. Une fin enflammée embrase la salsa d’africanité !
Angelique Kidjo propose ensuite une version mélancolique de Sahara que Celia Cruz avait chanté avec Tito Puente sur l’album « Alma con Alma ». Imprégnée de spleen, ponctuée par des lignes de cordes et de légères interventions du piano de Xavier Tribolet, la voix de la chanteuse se teinte d’accents intimes et d’une douce sensualité. Clin d’œil au son cubain dont la chanson adopte le tempo.
Sur Baila Yemaya, la chanteuse prend ses distances avec la version de Celia Cruz & Sonora Matancera enregistrée en 1951. L’orchestration cuivrée et la polyrythmie accentuent la dimension africaine que la voix adopte plus encore.
Toro Mata déroule une pulsation rythmique yoruba qui invite à la danse. Porté par les cuivres flamboyants le chant se fait incantation et est rejoint par le saxophone qui prend un court solo enivrant. Après cette bolée vivifiante d’Afrobeat, sur la pulsation des tambours et au-dessus du souffle des cuivres, la chanteuse élève sur Elegua une imploration apaisante en direction de la Nature et des divinités orishas.
Le répit ne dure pas et Quimbara se tourne du côté de la rumba africaine et réinvente la version que Celia Cruz et Johny Pacheco avaient enregistrée en 1974. Angelique Kidjo avait d’ailleurs chanté ce titre sur scène à Paris avec Celia Cruz Le morceau est habité par une grande énergie, la chanteuse ne retient pas son chant et le solo du guitariste togolais Amen Viana l’y encourage tout autant que les cuivres déchaînés et la rythmique pulsatile. Afrobeat à fond !
L’effervescence va gagner Bemba Colora dont Celia Cruz donnait déjà une version rapide. Angelique Kidjo interprète le thème sur le tempo d’une danse africaine sur laquelle Shabaka Hutchings prend un chorus qui n’a rien à envier à ceux de Fela Kuti. Irrésistible !
La suite de l’album se fait plus calme. Angelique Kidjo reprend Oya Diosa que Celia Cruz chantait avec Sonora Matancera sur un rythme de rumba triste. La voix soul et profonde de la chanteuse béninoise élève une incantation comme une prière sur laquelle le violoncelle de Clément Petit fait merveille.
Avec Yemaya se termine l’album. Accompagné par les tambours et sa propre voix enregistrée sur plusieurs pistes, le chant d’Angelique Kidjo invoque la déesse de la mer. Le chant yoruba tourbillonne… la Santeria n’est pas loin.
« Celia », un album à la fois ensorcelant et dansant qui célèbre l’africanité de la salsa. Angelique Kidjo fait coexister avec réussite l’esprit de la Salsa et un Afrobeat paré de nuances et de couleurs attrayantes.
Plusieurs concerts se profilent en France pour vivre live la musique de « Celia » avec Angelique Kidjo sur scène. RV le 14 mai 2019 au Bataclan à Paris, le 17 mai 2019 à Aix-en-Provence au Grand Théâtre, le 25 mai 2019 au festival Jazz Sous Les Pommiers à Coutances et le 16 juin 2019 au festival Rio Loco à Toulouse. ICI pour suivre l’actualité des concerts de la chanteuse Angelique Kidjo.
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