Escapade de l’autre côté du bleu
Après “Emotional Dance” sorti en 2017, Andrea Motis revient avec “Do Outro Lado Do Azul”. La jeune trompettiste, chanteuse et compositrice catalane fait une escapade fort réussie du côté de la musique brésilienne avec laquelle elle manifeste de fort belles affinités. Un album chatoyant, des teintes fraîches, des accents délicats, une musicalité infinie.
Avec “Do Outro Lado Do Azul” (Verve/Universal) sorti le 01 mars 2019, la chanteuse et trompettiste espagnole Andrea Motis s’éloigne des partitions du jazz traditionnel pour s’aventurer sur les sentiers de la musique brésilienne dont elle explore la tradition.
Avec un goût infini elle puise dans la vaste production brésilienne mais déjoue le piège majeur de piocher parmi les légendaires titres de bossa-nova ou de samba tant de fois repris.
S’émanciper pour créer
Sur les treize plages de l’album “Do Outro Lado Do Azul”, Andrea Motis réussit un challenge peu commun, demeurer fidèle aux codes de la musique brésilienne et s’en émanciper en même temps. Son inspiration créative respecte en effet l’esprit de la tradition dont l’opus est vraiment imprégné. Pourtant la musicienne passe de l’autre côté du bleu qu’elle colore d’accents très personnels.
Un opus ensoleillé dont la musicalité rime avec délicatesse et fraîcheur.
Une incroyable trajectoire
Impossible de ne pas revenir sur la trajectoire peu commune d’Andrea Motis. Précoce, elle embouche la trompette à 7 ans et intègre à 12 ans le big band de l’école de musique de Sant Andreu (conservatoire municipal barcelonais) où elle est repérée par son professeur, le contrebassiste Joan Chamorro.
Pour ses 14 ans, la parution de son premier enregistrement “Joan Chamarro présente Andrea Motis” permet de prendre la mesure de la fraîcheur et de la musicalité de son propos. L’année de ses 16 ans, elle est invitée par Quincy Jones en personne à monter sur la scène festival de Perelada où le légendaire musicien s’extasie de son talent. Andrea Motis poursuit sa collaboration avec Joan Chamorro et sort cinq autres albums parmi lesquels “Feeling Good” paru en 2012.
En 2017, elle dessine les contours d’un univers plus personnel sur “Emotional Dance” (Impulse!/Universal), un album enregistré à New York avec Joan Chamorro autour d’un groupe américano-catalan. Ce disque élégant et équilibré ouvre de nouvelles perspectives à la carrière de l’artiste espagnole.
En 2019, Andrea Motis continue à tracer son sillon et rejoint le label Verve… le 01 mars 2019 sort “Do Outro Lado Do Azul”.
“Do Outro Lado Do Azul”
Les musiciens
Certes Joan Chamarro (contrebasse), lgnasi Terraza (piano), Josep Traver (guitare) et Esteve Pi (batteriei) constituent toujours le cœur de la formation. Ils assurent ainsi une sorte de continuité par rapport aux disques précédents avec un ancrage jazz qui s’exprime par exemple dans des arrangements évocateurs de jam sessions dans le style New-Orleans. Pourtant dans ce nouveau projet Andrea Motis affirme son autorité via ses choix artistiques. En effet, la jeune musicienne inscrit son empreinte sur le répertoire et les ambiances.
Ainsi la référence majeure de “Do Outro Lado Do Azul” regarde du côté de la musique brésilienne dont elle capte les rythmes, emprunte les instruments et saisit les accents à travers le pandeiro de Sergio Krakowsky, le cavaquinho de Fernando Del Papa, la guitare de Mathieu “Tétéu” Guillemant, la clarinette de Gabriel Amargant et le violon de Christoph Mallinger qui apportent des couleurs folk dépaysantes.
Le répertoire
Pour regarder de l’autre côté du bleu, Andrea Motis porte son choix sur des chansons composées par de grands sambistes comme Ismael Silva (Antonico), Roque Ferreira (Filho De Oxum) ou Paulinho da Viola (Dança Da Sildao). Elle n’hésite pas non plus à interpréter des pièces écrites par des auteurs plus contemporains comme Rodrigo Maranhao et Roberta Sa (Samba De Um Minuto) ou d’autres tout à fait confidentiels comme Moacyr Luz (Saudades Da Guanabara), Luiz Tatit (Baião De Quatro Toques) et elle trempe aussi sa plume dans l’encre pour proposer des compositions tout à fait inspirées (Brisa, Sense Pressa, Sombra De Lá)
Andrea Motis embouche tour à tour trompette, bugle, saxophone soprano mais c’est surtout son chant qui colore “Do Outro Lado Do Azul”. Sa voix élastique de contralto passe du Portugais, au Catalan et à l’Espagnol sans effort. C’est à s’y méprendre, elle phrase comme les natives du Brésil, performe sur les tempi rapides et caresse les mots avec tendresse sur les pièces plus lentes. Selon les styles, elle pose un voile de douceur ou un grain légèrement acidulé sur les trames musicales.
Impressions musicales
L’album ouvre avec le propos épuré que tiennent guitare, voix cajoleuse et voilée, cavaquinho et violon sur Antonico, la superbe composition du grand sambiste Ismael Silva.
Après la triste tendresse du premier titre se profile Sombra De Là, une samba élégante. Un zeste de voix, un trait de bugle et de limpides rasades de saxophone ténor, ça désaltère comme un mojito rafraîchissant.
Pandeiro et cavaquinho se font espiègles autour de la voix équilibriste qui interprète avec légèreté Brisa, une samba partido alto. La trompette insolente adopte le swing sur un tempo jazz, suivie par le violon, le piano et la batterie. C’est ensuite à une sieste paresseuse qu’invitent la voix lascive et le chorus ciselé de piano sur la langoureuse ballade bossa Sensa Pressa. La sonorité diaphane de la trompette convoque le fantôme de Chet Baker.
Plein d’entrain, l’hymne du chanteur catalan Joan Manuel Serrat, Mediterráneo résonne comme un hymne plein d’entrain porté sur les ailes d’une valse aux accents vénézuéliens que ponctuent un piano vigoureux et un saxophone gémissant. Voix, cavaquinho et basse se retrouvent ensuite au rythme du frevo sur Filho De Oxuma. Place ensuite à la samba pagode Pra Que Discutir Com Madame où le chant devient scat porté par guitare et pandeiro. La musique se déhanche avec aisance et même le piano joyeux esquisse des pas de danse.
Le superbe thème de Paulinho da Viola, Dança da Solidao, résonne alors en portugais sur un tempo de morna coladeira capverdienne. La voix se coule dans une esthétique évocatrice de l’art de Cesaria Evora. L’émotion gagne en intensité avec le solo nostalgique de la clarinette lyrique, la tendresse de la guitare et la triste plainte de la contrebasse.
Sur la samba pagode Saudades da Guanabara, le chant collectif invite à une danse dionysiaque où tous les instruments donnent de la voix. Pas un ne manque, piano, violon, clarinette, guitare électrique pour un clin d’oeil complice au jazz de la Nouvelle-Orleans. On en redemande et on danse sans état d’âme, heureux que samba et jazz coexistent avec autant de bonheur. Sur une rythmique impulsée par le pandeiro, trompette et violon exposent le thème de Choro de Baile. Entre polka et de la valse, syncopes et contrepoints n’en finissent pas de se croiser pour le meilleur.
La voix nasale et élastique dépose avec tendresse son chant brésilien sur les accords de la guitare de Record De Nit. Une berceuse que ne renierait pas Rosa Passos. Portés par le pandeiro et le cavaquinho, Samba De Um Minuto résonne de la douce mélancolie qu’insufflent voix, clarinette et cavaquinho. C’est enfin avec le regard tourné vers le nordeste du Brésil que se termine l’album. Clarinette voltigeuse, trompette habile, violon jazz reprennent même l’intemporel Brazil avant de revenir au thème de Baião De Quatro Toques qui invitent à la fête
Les treize titres de l’album “Do Outro Lado Do Azul” affichent la vigueur et l’inspiration de la trompettiste et chanteuse catalane Andrea Motis. Cet album très personnel confirme son goût pour la composition. Ancré dans la tradition très large de la musique brésilienne, le répertoire met surtout en valeur les couleurs de son art vocal très convaincant.
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